XXIIe congrès du PCF

Garder le cap

Le document préparatoire au XXIIe congrès du PCF est paru (L’Humanité du 12 novembre 1975). Il témoigne de deux grandes préoccupations de la part de la direction.

– D’une part, ne pas perdre électoralement trop de terrain sur sa droite au profit du PS. Et, pour cela, prendre ses distances par rapport aux défigurations bureaucratiques du socialisme tout en réaffirmant une politique d’alliance des plus larges.

– D’autre part, rester le premier parti militant dans la classe ouvrière. Et pour cela, souligner l’importance du renforcement du parti, procéder à un durcissement verbal afin de ne pas laisser trop de champ libre aux révolutionnaires.

Ainsi, dans son rapport introductif au document proposé, Kanapa insiste sur le fait que la démocratie avancée doit être développée « toujours plus avant, jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’au socialisme ». Le lecteur assidu de l’Huma se souviendra à ce propos du compte rendu d’un débat du comité central publié au lendemain des élections présidentielles, où les interventions s’étaient succédé pour souligner qu’il était mal venu de parler du programme commun « ouvrant la voie au socialisme », que cela pouvait effrayer l’électeur et qu’il fallait au contraire mettre l’accent sur l’Union du peuple de France…

Mais la réaffirmation des objectifs historiques du parti, n’est pas incompatible – loin de là – avec la réaffirmation de sa politique de grande coalition et de collaboration de classe. L’appel à l’Union du peuple de France est en effet réitéré dans un style imité du verbe gaulliste : « L’Union du peuple de France, c’est le rassemblement de tous les démocrates, de tous les patriotes. De tous ceux qui sont attachés à la défense et au progrès des libertés. De tous ceux qui, fidèles à la grandeur, à l’indépendance et à la sécurité de la France, réprouvent une politique qui met en péril les intérêts nationaux. » Au-delà de ces nuances et de ces équilibres subtils pas grand-chose de neuf dans ce document. On y retrouve la définition des voies électorales comme seule voie révolutionnaire vers le socialisme. Et si l’on invoque les leçons du Portugal et du Chili, ce n’est pas pour en conclure à la nécessité de détruire l’État, mais pour condamner d’abord la « conception des minorités agissantes ». Quant aux sociaux-démocrates, « ils ont toujours abouti soit à la gestion des affaires du grand Capital, soit à la défaite du mouvement démocratique », en raison de leurs réticences à mobiliser les masses. On serait en droit de demander si un tel verdict s’étend ou non au PC espagnol de la guerre civile, au PC indonésien, au PC cubain (qui n’avait joué aucun rôle dans la révolution de 59), au PC soudanais… et au PCF lui-même en 36 et 45.

Selon le document préparatoire, conformément au programme « Changer de cap » et au manifeste de Champigny, le socialisme peut faire l’économie de la révolution, s’édifier sous la haute bienveillance de l’État bourgeois maintenu. Pour commencer par le plus immédiat, il n’est rien dit de l’abrogation de la Constitution de 58 et des contradictions institutionnelles dans lesquelles son respect engage les défenseurs du programme commun. Il n’est rien dit de précis sur l’extension et les modalités des nationalisations proposées. Il n’est rien dit du droit des soldats à s’organiser en syndicats, en comités, rien de l’encadrement.

Le document affirme bien que « les libertés de manifestation et de pétition seront reconnues, la pluralité des partis politiques, le droit à l’existence et à l’activité des partis d’opposition reconnus ». On y croirait davantage si, dès maintenant, les droits des oppositionnels en URSS ou en Tchécoslovaquie étaient énergiquement défendus, si le droit de tendance était reconnu dans les syndicats, si l’extrême gauche n’était frappée d’exclusives, si la souveraineté des assemblées d’entreprises et de leurs délégués élus et révocables pendant les luttes était affirmée. Si la démocratie était pratiquée dans les rangs du PCF lui-même. Or, le document se félicite de ce qu’il n’y ait « pas de tendances ou de fractions pour entraver l’application de décisions démocratiquement adoptées ou pour remettre en cause des engagements pris ». Beaucoup de choses ont assurément changé depuis 1917, mais certainement pas les conditions qui ont permis à un parti qui admettait les tendances et l’expression des divergences, de conduire le prolétariat russe, infiniment moins développé culturellement que le prolétariat français de notre temps, à la conquête du pouvoir.

Bref, le document préparatoire au XXIIe congrès se situe dans la lignée des corrections apportées par le XXIe congrès – extraordinaire – à ses propres documents préparatoires.

Il y a cependant un aspect qui n’apparaîtra pas dans les textes et qui sera pourtant l’un des enjeux importants de ce congrès : le renouvellement des directions qui n’était pas à l’ordre du jour du congrès précédent. Il y aura dosage, tractations, partage de postes. C’est l’envers du décor, ou plutôt sa charpente invisible.

Il ne faut pas en sous-estimer l’importance, au moment où les contradictions qui secoueront un jour le parti commencent à produire des frictions (plus que des divergences fondamentales) dans l’appareil.

Rouge, 13 novembre 1975
www.danielbensaid.org

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