Misères et confusions (intellectuelles)

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Trente ans, déjà. En 1977, Deleuze avait vu loin : « Les conditions particulières des élections aujourd’hui font que le niveau de connerie monte. C’est sur cette grille que les nouveaux philosophes se sont inscrits dès le début. Il importe peu que certains d’entre eux aient été immédiatement contre l’Union de la gauche, tandis que d’autres auraient souhaité fournir un brain-trust de plus à Mitterrand. Une homogénéisation des deux tendances s’est produite, plutôt contre la gauche mais surtout à partir d’un thème qui était présent déjà dans leurs premiers livres : la haine de 68. C’était à qui cracherait le mieux sur Mai 68. C’est en fonction de cette haine qu’ils ont construit leur sujet d’énonciation : “Nous, en tant que nous avons fait Mai 68 (??), nous pouvons vous dire que c’était bête et que nous ne le referons plus”. Une rancœur de 68, ils n’ont que ça à vendre. C’est en ce sens que, quelle que soit leur position par rapport aux élections, ils s’inscrivent parfaitement sur la grille électorale […]. Ce qui me dégoûte est très simple : les nouveaux philosophes font une martyrologie, le Goulag et les victimes de l’histoire. Ils vivent de cadavres […]. Rien de vivant ne passe par eux, mais ils auront accompli leur fonction s’ils tiennent assez la scène pour mortifier quelque chose1. »

Ils s’y accrochent encore. Et la mortification est à son comble.

Misère de la politique, confusion des idées et des sentiments. Les appels, pétitions, déclarations des intellectuels visibles (autant les minorités du même nom), en faveur de tel ou tel candidat ne déterminent plus guère qu’une pincée de suffrages à la marge des flux d’opinion formatés par les sondages. Dans l’ère de la vidéosphère post-intellectuelle, idées et vertus sont en solde à la bourse des valeurs libérales, et ces tapageuses effusions narcissiques ont moins de poids que la dernière lubie d’un lauréat de la Star Ac. Le petit ballet des soutiens électoraux n’en est pas moins révélateur des inconstances de l’air du temps. Il donne le ton, sinon du paysage intellectuel français, du moins de son décor d’images virtuelles. Trois agrégats s’y dessinent : les nouveaux croisés, les sociolibéraux recentrés, les réservés du juste milieu.

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Documents joints

  1. Gilles Deleuze, Deux régimes de fous et autres textes (1975-1995), édition préparée par David Lapoujade, 2003, éditions de Minuit, collection « Paradoxe ».
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