Petites infamies

Le gouvernement Raffarin-Perben-Sarkozy a profité du dernier week-end d’août pour livrer à la sauvette le réfugié politique Paolo Persichetti au gouvernement Berlusconi qui n’a pas manqué d’exprimer sa gratitude et sa satisfaction. Ajoutant le grotesque à l’infamie, la police française s’est vantée de cette prouesse en prétendant avoir localisé Paolo au terme d’une difficile enquête.

Réfugié en France depuis 1991, frappé en 1993 d’une mesure d’extradition signée par Balladur mais non appliquée en vertu de l’engagement pris par Mitterrand sur la non-extradition des réfugiés italiens, en réalité Paolo a présenté en octobre 2000 un mémoire de DEA en sciences politiques (intitulé La Démocratie judiciaire : racines, formes et dérives de la judiciarisation de l’espace politique et social !). Il était l’an dernier enseignant du département de sciences politiques de Paris-VIII. Il était donc tout à fait public et présent chaque semaine à l’université où les fins limiers du ministère de l’Intérieur n’auraient eu aucun mal à le trouver. Sans faire la moindre confiance aux autorités étatiques françaises, Paolo a donc obstinément refusé de plonger dans la clandestinité, y compris lorsque l’escalade des discours sécuritaires et l’élection de Jacques Chirac ont précisé la menace.

Dans le livre coécrit avec Oreste Scalzone, La Révolution et l’État, paru chez Dagorno en 2000 et superbement préfacé par Erri De Luca, il se présentait lui-même avec humour comme un « jeune émeutier, repris de justice, échappé de justesse, promeneur de cour de prison, expatrié, déclaré clandestin de la République, et chercheur recherché. » La régularisation de sa situation professionnelle lui permettait d’entrevoir le bout du tunnel.

Condamné à vingt-deux ans de prison en Italie, son extradition signifie au contraire le probable saccage d’une vie. Ce crime légal est imputable aux canailles qui nous gouvernent. Luc Ferry, spécialiste de « philosophie morale », ministre de l’Éducation, coresponsable des mesures gouvernementales contre un enseignant, en est complice. Nous saurons nous en souvenir.

La portée de l’extradition de Persichetti va bien au-delà de son cas personnel. Les tractations continuent entre le gouvernement Raffarin et le gouvernement Berlusconi sur le sort de dizaines d’autres réfugiés italiens, dont, en tête de liste, notre ami Oreste Scalzone, en France depuis 1982. Cette offensive policière n’a rien d’accidentel. Comme la criminalisation des résistances sociales et syndicales, comme la mise hors la loi de Batasuna, elle s’inscrit dans le renforcement des coopérations policières décidé au plus haut niveau au lendemain des manifestations de Gênes et dans le cadre de la campagne « antiterroriste » mondiale. La défense de Persichetti et de ses camarades prend ainsi valeur d’un test crucial pour l’avenir.

2002, Publication non retrouvée
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