Requiem pour un socialisme défunt

Le Parti socialiste est taraudé, depuis plus d’une décennie, par une crise existentielle. Dès 1990, Laurent Fabius avouait sans détour : « S’il est assurément démocratique, en quoi le socialisme moderne est-il encore socialiste ? » Quatre ans plus tard, Lionel Jospin constatait à son tour : « La réforme a vaincu la révolution, mais les réformistes donnent l’impression de ne plus croire à la réforme. »

La nouvelle déclaration de principes du Parti socialiste rendue publique le 21 avril est censée répondre à ce doute identitaire. Ce laborieux exercice de style se dispense de tout devoir d’inventaire et il ne se distingue pas par une ambitieuse vision d’avenir.

On y apprend tout de même (article 8) qu’il s’agit de « réactualiser ce qui est l’apport propre du socialisme au siècle dernier, l’État social qui permet aux réponses collectives de satisfaire les besoins individuels dans leur diversité ». En quinze ans de gouvernement, entre 1981 et 2002, le PS a au contraire contribué à démolir cet État social.

L’article 7 proclame que les socialistes entendent bâtir « une société nouvelle qui dépasse les contradictions du capitalisme » en « faisant toute sa place au secteur non marchand ». Il ne s’agit donc plus de dépasser le capitalisme, mais de résoudre ses contradictions grâce à l’instauration de ce secteur que l’on vient pourtant de contribuer à réduire en démantelant les services publics. On ne saura pas si « toute la place » promise au secteur non marchand annonce une reconstruction des services publics (eau, télécommunications, énergie), la municipalisation des sols, ou encore le retour sous contrôle politique des banques centrales.

L’article 6 proclame bien que « certains domaines ne peuvent relever du marché quand ils concernent des droits essentiels », mais ces « domaines » demeurent aussi incertains que les « droits essentiels » auxquels ils correspondent.

Selon l’article 10, « la France doit respecter tous ceux qui vivent sur son territoire en combattant toutes les discriminations ». Il était temps ! Le propos serait plus clair s’il était précisé que ce combat devrait aller jusqu’au droit de circulation et d’installation, à l’égalité des droits sociaux et au droit de vote des immigrés.

L’article 29 annonce que le PS « veille à la diversification des responsabilités partisanes et électives à tous les niveaux ». Ah, qu’en termes fumeux ces choses-là sont dites ! La diversification en question implique-t-elle l’introduction, par exemple, de la proportionnelle « à tous les niveaux » dans les modalités électives ?

L’article 17 annonce que le PS « est un parti européen, qui agit dans l’Union européenne, qu’il a non seulement voulue, mais en partie conçue et fondée ». Autrement dit, un parti respectueux de l’Union libérale réellement existante du marché unique de 1986, du traité d’Amsterdam de 1997, du pacte de stabilité, du récent traité non simplifié de Lisbonne, reprenant l’essentiel du traité constitutionnel rejeté par référendum en 2005, dont la vaillante abstention des députés socialistes a permis lors du congrès de Versailles l’adoption par voie parlementaire voulue par Nicolas Sarkozy.

La déclaration de principes en dit plus par ce qu’elle tait ou abandonne que par ce qu’elle expose. Le socialisme démocratique qu’elle revendique prétend « aller à l’idéal » et « comprendre le réel ». Mais elle ne dit rien du réel qu’il s’agit de comprendre, encore moins de l’idéal à atteindre, si ce n’est « qu’être socialiste, ce n’est pas se satisfaire du monde tel qu’il est » (art. 1). Au vu de ce qu’est le monde et comment il va, c’est la moindre des choses. Le but serait donc « l’émancipation complète de la personne humaine et la sauvegarde de la planète ».

Il ne fallait pas moins qu’une nouvelle déclaration principielle pour apprendre que mieux vaut une émancipation complète qu’incomplète. Quant aux moyens d’y parvenir, il s’agirait d’une « économie sociale et économique de marché régulée par la puissance publique », combinant « un secteur privé dynamique, des services publics de qualité, et un tiers secteur d’économie sociale » (article 6). On ne saura rien du dosage de cette combinaison, et qui, des appétits concurrentiels privés ou de l’intérêt public, finira par dicter sa loi.

Il faut donc aller chercher l’utilité d’une aussi vaine déclaration dans ses silences et ses suppressions, autant et plus que dans ses généralités explicites. Exit le mot de « révolutionnaire » qui figurait encore en 1990 dans la précédente déclaration. C’était si incongru qu’on l’avait oublié. Est de plus éliminée toute référence à la lutte des classes, dissoute dans « l’intérêt général du peuple français » (article 19). Est ainsi annulée la déclaration historique de 1905, celle de Jaurès, définissant le PS comme « un parti de classe qui a pour but de socialiser les moyens de production et d’échange ». C’est ce que le sens commun appelle « avaler son bulletin de naissance ».

Une aussi spectaculaire disparition des classes et de leur lutte ne pourrait s’expliquer que de deux manières. Soit parce que les classes sociales auraient disparu, ce que ne confirment ni l’activisme patronal du Medef et de l’UIMM ni les attaques gouvernementales contre la Sécurité sociale et le code du travail. Soit plus sûrement parce que le PS y aurait renoncé pour devenir « également le parti des entreprises », comme le réclame Emmanuel Valls.

La fonction réelle de cette déclaration de principes extraordinairement et exceptionnellement consensuelle pour un parti déchiré par les ambitions et les rivalités personnelles est celle du parachèvement de la mue sociale-libérale de la vieille social-démocratie française, en retard sur ses partis frères européens, freinée qu’elle fut dans son évolution par la culture de lutte et de résistance héritée de Mai 68. Le PS pense sans doute s’ouvrir ainsi la voie d’un Tony Blair. Il se prépare en fait un désastre à la Veltroni. En Italie, deux ans de politique libérale sous la houlette de Romano Prodi ont conduit au triomphe de Berlusconi et de la Ligue du Nord. Et Rome est aux mains d’un extrémiste de droite ! Encore plus révélateur peut-être, cela s’est accompagné de l’effondrement de la coalition « arc-en-ciel », passée dans le même laps de temps de 11 % à 3 %.

La preuve est éclatante que l’unité même large de ce camp ne peut rien contre la marche au bipartisme quand elle est bâtie sur la confusion politique : toute cette coalition était du gouvernement Prodi. Et cela sans que les partis de la gauche radicale, créés trop récemment, ne parviennent à s’imposer. Il n’y a rien de plus urgent pour la gauche française que d’analyser les causes de ce tsunami politique. Avec une première évidence : toute alliance gouvernementale ou parlementaire subalterne au projet esquissé par la déclaration de principes aurait les mêmes effets mortifères pour une gauche radicale et anticapitaliste que ceux que viennent d’avoir en Italie la participation au gouvernement Prodi et la caution apportée à sa politique. L’indépendance stratégique vis-à-vis du PS est le maître mot si l’on ne veut pas garantir des succès répétés au capitalisme.

La désastreuse leçon italienne ne peut que renforcer le besoin d’un nouveau parti, porteur d’une véritable alternative à un système capitaliste ensauvagé et indépendant du social-libéralisme annoncé. On entend dire que ce projet lancé par la LCR vient trop tôt. Au vu de l’évolution du PS, de son hégémonie renforcée sur ses alliés traditionnels qu’ont confirmé les municipales, au vu d’autre part de l’expérience italienne, on peut au contraire se convaincre que, très bientôt, il sera trop tard.

Tribune parue dans Le Monde du 8 mai 2008

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