Les nôtres

Gérard de Verbizier (Verjat)

La grande majorité des militants et militantes actuels de la LCR ne peuvent imaginer le rôle qu’a joué Gérard de Verbizier, « Verjat », dans la formation de notre courant autour de 1968. Né en 1942, déjà nourri de la culture du mouvement ouvrier (son grand-père paternel, Charles de Verbizier, fut délégué au congrès de Tours et partisan de l’adhésion à la IIIe Internationale), il n’a adhéré aux étudiants communistes qu’en 1963. En deux ans, il a parcouru le spectre des oppositions antistaliniennes avant de devenir rapidement une des figures de l’opposition de gauche. Ayant gardé des attaches amicales et familiales dans la région toulousaine, il fut le catalyseur et l’âme de notre dissidence locale. Il fut également le rassembleur, dès 1966, des premiers noyaux lycéens de la Jeunesse communiste révolutionnaire.

Gérard a peu écrit. Il était en revanche un narrateur fascinant. Il préparait pour les stages de formation des exposés fleuves, résumés en quelques notes brèves : sur la guerre d’Algérie, le Moyen-Orient et la question palestinienne, le Sri-Lanka ou l’histoire des mouvements de libération au Vietnam. Il parlait parfois plus de six heures. L’auditoire en redemandait. À croire qu’il savait se faufiler, tel un habile « profileur » politique, dans la pensée de Ho Chi Minh ou de Giap pour en saisir le mouvement intime. Gérard a ainsi été déterminant pour ancrer d’emblée notre culture dans un internationalisme charnel.

Dès 1970, envoyé à Bruxelles travailler à plein-temps pour la IVe Internationale, il en fut jusqu’à la découverte de son diabète (en août 1971) le seul et unique permanent. Gérard n’était pas un outsider irréductible qui allait son bonhomme de chemin, dans les marges des routines organisationnelles. Alors que le pouvoir de séduction a la plupart du temps un contenu possessif ou narcissique, la façon dont le sien opérait auprès des milieux les plus divers était au contraire un moyen d’aller à la rencontre des autres, de multiplier les liens, de donner à chacun et à chacune le sentiment d’exister à part entière. Passionné par l’histoire du yiddishland révolutionnaire et par le rôle des résistants juifs de la Main-d’œuvre immigrée (MOI) auxquels il a consacré un livre – Sans travail, famille, ni patrie, Calmann-Lévy, 1994 –, il s’était imprégné des intonations, des accents, de l’humour, au point qu’on aurait pu le prendre parfois pour la réincarnation d’un rabbin de Chagall qui aurait oublié son violon dans une autre vie.

En 1966, c’est lui qui m’a accueilli et initié à la vie politique parisienne. De passage à Toulouse, nous allions déjeuner chez ma mère. Elle avait, elle aussi, succombé au charme de Gérard. S’étant un jour extasié sur les cornichons maison, il ne repartit plus jamais sans un bocal préparé à son intention. À voir, du balcon maternel, s’éloigner ce bonhomme malicieux et fragile, arc-bouté contre les rafales du vent d’autan, je ne pouvais m’empêcher de songer qu’il y avait du Charlot tragicomique dans ce personnage affrontant les bourrasques hostiles de l’époque.

2 septembre 2004, Rouge n° 2076
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