Moyen-Orient

La paix américaine

Depuis l’invasion israélienne au Liban et la mise au point du plan Reagan, en septembre 1982, les États-Unis s’efforcent d’imposer leur « paix » impérialiste au Moyen-Orient. Il leur faut pour cela restaurer à Beyrouth un État chrétien phalangiste, prêt à négocier avec Israël, neutraliser le Sud-Liban, amener les Israéliens à accepter la restitution du Golan à la Syrie et la formation en Cisjordanie d’un « État » palestinien croupion sous tutelle jordanienne.

Plusieurs obstacles majeurs se dressent sur cette voie :

– d’une part le manque d’autorité du régime libanais, encore illustré par la conférence de réconciliation nationale de Genève ;
– d’autre part l’existence d’une OLP (Organisation de libération de la Palestine) affaiblie mais non soumise ;
– enfin, l’intransigeance des dirigeants sionistes eux-mêmes.

Quant à la Syrie, armée par Moscou mais subventionnée par l’Arabie Saoudite, elle pourrait trouver son compte au marchandage à condition de l’aborder en position de force, en maintenant sa position au Liban et en s’assurant le contrôle d’une partie significative de l’OLP.

En décrétant l’annexion du Golan, en décembre 1981, et en poursuivant la colonisation de la Cisjordanie, le gouvernement israélien a tout fait pour créer une situation irréversible. Pourtant, les contrecoups intérieurs de la guerre et la détérioration accélérée de la situation économique (voir article en pages suivantes) obligeront le gouvernement sioniste à composer avec son grand allié américain. L’accord de coopération stratégique de novembre 1981 vient d’être réaffirmé. L’aide militaire américaine, officiellement suspendue après l’annexion du Golan, va reprendre. Le nouveau Premier ministre Itzhak Shamir rencontrera Reagan à Washington à la fin novembre. Selon le New York Times du 14 novembre 1983, ces discussions devraient conduire à « une coopération accrue dans plusieurs domaines, y compris à une action concertée au Liban et à une aide financière des États-Unis aux projets de soutien technique (autrement dit militaire) d’Israël aux alliés américains en Amérique centrale et en Afrique. »

En ce qui concerne l’OLP, les États-Unis, tout comme les régimes arabes et Israël voient d’un bon œil sa représentativité être entamée par ses divisions. Le retrait des Palestiniens de Tripoli, ville principale du Nord-Liban, demandé à nouveau par le gouvernement libanais et recommandé le 23 novembre, par un projet d’accord syro-saoudien comme issue au conflit, parachèverait la retraite de Beyrouth de l’été dernier.

Yasser Arafat, encore plus affaibli, sera conduit, pour échapper aux griffes syriennes, à se retourner vers Hussein de Jordanie, et à accepter la fameuse « option jordanienne » qui enterre toute perspective d’État palestinien souverain, fût-ce sur une partie de la Palestine. La Syrie y gagnerait doublement : en discréditant Arafat auprès des secteurs les plus combatifs de la résistance et en gardant dans sa manche une direction de rechange sous son contrôle.

L’accord du 24 novembre entre Arafat et Israël sur l’échange des prisonniers, avec en coulisses l’entremise de la France, pourrait constituer un jalon sur cette voie.

Quant au Liban, la consolidation du pouvoir d’Aminé Gemayel ne semble guère en vue. Les « parrains » libanais réunis à Genève sous le signe de la réconciliation, ont laissé leurs armes au vestiaire, mais ils n’ont abouti à rien de concret, si ce n’est à la suspension de l’accord israélo-palestinien. Dans ces conditions, le Liban peut glisser vers une partition de fait, avec l’installation, au sud, des Israéliens qui ont déjà coupé les ponts sur la rivière Awali, avec les Syriens au Nord et dans la plaine de la Bekaa et avec le maintien à Beyrouth d’un semblant d’État libanais fantoche, sous bonne garde des troupes américaines et françaises. Chacun contribuerait à sa manière à faire régner l’ordre en éliminant les trouble-fête éventuels, Palestiniens irréductibles ou miliciens islamiques. Dans cette perspective, l’agression syrienne contre l’OLP ne vise pas à préparer la guerre, mais bien plutôt à améliorer, de son point de vue, les conditions d’une éventuelle négociation.

L’Union soviétique de son côté a maintenu dans cette affaire une position d’équilibre acrobatique, ménageant la Syrie qui constitue son dernier allié de poids dans la région, tout en plaidant la cessation des combats entre Palestiniens et la sauvegarde de l’unité de l’OLP, comme l’ont fait également les dirigeants du FPLP et du FDPLP, Georges Habache et Nayef Hawatmeh.

Tous les protagonistes se préparent donc à une redistribution des cartes qu’ils savent inévitable. Mais la donne comporte bien des inconnues et de nouveaux affrontements peuvent encore en modifier les éléments. C’est pourquoi, les États-Unis et Israël maintiennent les deux fers au feu : la possibilité de négociations, mais aussi celle d’une intervention militaire contre la Syrie. Le 23 novembre, le secrétaire d’État américain à la défense, Caspar Weinberger a, pour la première fois, mis directement en cause la Syrie à propos des attentats qui ont détruit, le 23 octobre à Beyrouth, deux places fortes des armées française et américaine.

Dans l’hypothèse d’un nouvel engagement militaire entre la Syrie d’un côté, et Israël et les États-Unis de l’autre, la défense de la cause palestinienne et des peuples arabes face à l’impérialisme, passerait nécessairement par la défense de la Syrie. Un tel soutien ne justifierait cependant en rien de renoncer à prendre le parti de l’OLP et de son unité contre l’agression criminelle syrienne à Tripoli. La clique au pouvoir à Damas joue serré pour mieux pouvoir traiter avec l’impérialisme demain. Comme l’ont fait le roi Hussein ou l’Égyptien Sadate avant elle, elle a besoin de réduire l’autorité de l’OLP pour avoir demain les mains plus libres.

En revanche, l’existence d’un mouvement national palestinien représentatif et solidement implanté dans les territoires occupés reste l’obstacle le plus tenace aux solutions impérialistes dans la région.

25 novembre 1983
Inprecor n° 162, 5 décembre 1983

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