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Les Balkans entre paix et guerre

Après dix semaines de bombardements et plus de 10 000 « sorties » aériennes, les négociations s’accélèrent. Chroniques d’une paix annoncée. D’une paix ? D’une trêve plutôt, ou d’une non-guerre. Le pas suspendu des légions en marche…

À ce stade, le bilan otanien relève du désastre. « Ainsi voit-on, écrivit naguère Bernanos, à la joue des docteurs en réalisme, dès qu’ils s’échauffent, rougir le soufflet du réel. » Certes, les déplacements de populations et les crimes de Milosevic avaient commencé bien avant l’opération « Force alliée », certes le plan de « nettoyage ethnique » existait. Mais, comme il était parfaitement prévisible (ainsi que l’atteste le prudent retrait des observateurs de l’OSCE à la veille de l’intervention), l’opération militaire de l’Otan, loin de l’empêcher, a amplifié et accéléré la purification en créant les conditions d’une guerre civile à huis clos et de massacres sans témoins.

En deux mois, on a fabriqué un nouveau peuple paria en diaspora dont les échéances de retour dans un pays ruiné sont hélas hypothétiques (voici plus de cinquante ans que les Palestiniens croupissent dans leurs camps de réfugiés !). En deux mois, on a méthodiquement détruit les infrastructures et l’économie de la Yougoslavie, multiplié les bavures meurtrières sur les cibles civiles, transformé le Danube en égout chimique, créé les conditions d’une catastrophe écologique par dissémination de l’uranium appauvri, et durablement déstabilisé la région en attisant les haines xénophobes réciproques.

La reconstruction coûtera cher, sans que l’on sache qui paiera (mais quand on aime, comme dirait Roland Dumas, on ne compte pas…). On sait en revanche déjà qui profitera : dès la mi-avril, soit trois semaines seulement après le début du conflit, une mission d’officiers de réserve en poste dans les grands groupes industriels français partait en Macédoine pour dresser l’inventaire des projets juteux. Bouygues et Vivendi n’étaient pas les derniers sur les rangs.

Ce constat peu reluisant n’empêche pas les chefs d’État occidentaux de se congratuler autour du plan de paix du G8. Il s’agit pourtant sur l’essentiel d’un retour à la case départ de Rambouillet. On se félicite d’avoir « réintégré dans le jeu diplomatique » la Russie qu’on avait hier délibérément écartée. On dispute toujours sur la nature et le commandement de la force d’interposition (principal motif à Rambouillet du refus yougoslave). On exclut toujours la libre autodétermination du peuple du Kosovo. Et… on négocie toujours avec Milosevic par ailleurs proclamé ennemi n° 1 du genre humain ! À ceci près qu’entre-temps, il y a eu la guerre, ses misères et ses horreurs.

Beaucoup de victimes et de perdants dans l’affaire. Mais où sont les gagnants ? Certainement pas les Kosovars dont le pays dévasté sera réduit à l’état de protectorat et de base militaire sous la double tutelle de l’Otan et du FMI. Certainement pas les Serbes dont le pays ruiné sera à la merci des créanciers. Ni les Macédoniens, ni les Monténégrins, ni les Bosniaques. Seul l’Otan apparaît bénéficiaire. Dans un premier temps la guerre fut présentée comme une guerre défensive, de prévention humanitaire, pour protéger les Kosovars. Elle s’est ensuite transformée, autour du sommet de Washington, en guerre offensive de destruction de la Yougoslavie, pour sauver non plus les Kosovars, mais la face et la crédibilité de l’Otan en tant que bras séculier du nouvel ordre mondial marchand.

Dans un entretien au journal Le Monde du 9 décembre 1998, Madeleine Albright exposait clairement sa conception de l’architecture institutionnelle de la communauté internationale : « C’est évidemment très bien quand l’Otan et l’ONU peuvent agir de concert. mais l’Alliance ne peut être l’otage du veto de tel ou tel pays contre une opération. Car, dans une telle hypothèse, l’Otan ne serait plus qu’une simple filiale de l’ONU. Il me semble qu’il est donc très important pour nous d’être capable d’agir quand c’est nécessaire tout en essayant d’obtenir le soutien de l’ONU quand c’est possible. » On ne saurait mieux dire.

La preuve par les Balkans (et par l’Irak !).

Archives personnelles, 1999

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